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LOVECRAFT GENERATOR

I’m on the highway

I’m on the highway...

Soyez prudent !
Toujours un peu flippés, dans ces boîtes de location. Pas envie de voir revenir leurs bijoux accidentés. Remarque, il y en avait pour de la thune, dans chaque bagnole qu’ils proposaient. Majorité d’américaines dans le hall d’expo. Cadillac Eldorado, Chevrolet Camaro... Rien qu’une Traction avant 15 six pour les plus franchouillards. Mais franchement, quitte à louer dans une bagnole de collection, autant se la jouer States ! C’est quand màªme plus classe !
Le gars le là¢cherait donc pas ? Le suivait jusqu’à la tire qui avait été garée sur le parking. Dernières recommandations : garder en tàªte la taille du paquebot... la boîte automatique... et rien que du sans plomb !... En cas de pépin mécanique, il fallait les appeler eux, surtout pas faire intervenir un autre mécano. Vous avez mon numéro de portable sur le contrat. Son numéro et la somme à débourser ! Ils craignaient pas de décourager la clientèle, chez Feroni Cars. Avec des tarifs pareils ! Enfin, c’était pas son affaire. Si à§a lui faisait plaisir, au grand Fred, de rouler jusqu ?à la mairie pour l’équivalent de deux mois de loyer. Envie d’épater sa greluche, le lascar !
Larbinerie ou dernière précaution ? Le gars chez Feroni Cars lui ouvrait la portière de la Ford Mustang. Un intérieur cuir, fallait voir comme. La carrosserie briquée, mon pote... Nickel, la bagnole ! Tellement chouette que Tony hésita avant de s’asseoir. S’en sortit par un sifflet d’admiration. à€ peine installé, le gars lui expliquait le réglage du siège, les différentes positions pour la boîte automatique. Tout son baratin, quoi ! Tony hochait la tàªte sans rien dire. Mais comme l’impression qu’il lui refilerait jamais les clés.
Vous verrez, à§a surprend au début...
Le gars le regardait en souriant quand il mit le contact. Faut dire, il devait faire une de ses tàªtes ! Un ràªve de gosse, qu’il réalisait. Pas tous les jours que à§a t’arrive. Le temps de régler les rétros et enfin Tony démarrait la bàªte. Savourait le ronronnement du V8. Ne pas la brusquer à froid, avait précisé le gars. Enclencher le levier de la boîte auto. Accélérer en douceur. Un dernier signe de la main. Il traversa le parking en première. La màªme impression que lorsqu’il avait emprunté la voiture de son père pour la première fois. Sans le prévenir ! Un mà´me encore. 16 piges ! à‰tait pas allé bien loin. Deux trois kilomètres après la sortie du patelin, il était tombé sur les flics. Jamais eu de veine !
Il prendrait par l’autoroute. Gagnerait son temps, un samedi. Pas un chat dans la zone industrielle, mais après... Quand il aborderait le supermarché. Tout le temps que à§a bloquait. Pare-choc contre pare-choc. Pas le genre de caisse qu’apprécie de tourner au ralenti trop longtemps. Et toujours le risque de te faire emboutir par un abruti qui déboule comme un dingue. Il devait àªtre assez speed comme à§a, le grand Fred ! La tàªte qu’ils feraient chez Feroni, s’ils le voyaient se pointer avec l’arrière embouti... Et puis, taillée pour les highways, la Mustang...
Tony roula sagement jusqu’à la barrière de péage. Léger coup de stress : ne pas frotter contre le béton. Ticket. Le coincer dans le cendar. Y aller cool : ils te font de ces putains de virages incurvés. En contrebas, un de ces motels qui fleurissaient près des entrées d’autoroute. L’illusion était presque parfaite ! Bande d’accélération. L ?œil au rétro, pousser doucement les chevaux. Froufrou de l’injection. Montée dans les tours. De la bagnole, de la vraie !
Il sortirait à Montigny centre. Cinq, six bornes, mais à§a serait déjà à§a de pris. Comme dans les films ! Installé confortable. With no particular place to go ! C’était Chuck Berry qui chantait à§a. Sauf que lui, si. Impératif d’àªtre chez Tony à 14 heures. Le temps après de passer chercher à‰dith. Marrant comme ils se l’étaient joués à l’ancienne. Bientà´t trois ans qu’ils vivaient ensemble, et tout. Il l’imaginait de l’attendre comme un con, tout seul dans leur appart. Et elle à l’autre bout du patelin chez ses parents. En train d’enfiler sa robe à dentelles. Tradition, quoi ! Tony sourit : il y avait des cràªpes qu’on appelait comme à§a ! Des sandwiches aussi ! Des pizzas ?
Vitre abaissée, le coude sur la portière. Le pied ! Rester sur la voie de droite. Pas trop affoler le V8. Gourmands ces engins-là  ! Se mettre un peu de zique. Le gars lui avait rien dit pour l’autoradio. Modèle d’époque ! Un gros bouton rond pour le volume. Un autre pour chercher les stations. Dommage qu’ils soient pas aux States. Ils ont des bonnes radios là -bas. Sans blabla et toutes les conneries d’émissions comme ici. Tous ceux qui y étaient allés, ils le disaient. De la musique pour rouler peinard. Cruise, ils appellent à§a en anglais.
Il attendit d’avoir passé le pont pour actionner le bouton de gauche. Encore pas mal de flotte dans la Loire. L’autoradio commenà§a par émettre une faible lumière verdà¢tre. Puis déboula un air de country... Pas ce qu’il préfère, Tony, comme style. Manque trop de pàªche ! Et cette manie qu’ils ont de jouer du violon dans les aigus. Sà »rement une radio associative pour passe un truc aussi ringard ! Il tourna aussità´t le bouton, à la recherche d’une station qui lui convienne. Blues... Jazz... Et tout d’un coup une voix qui s’emballe en anglais... Tellement de Lord et de Jesus à la minute qu’il finit par comprendre sur quoi il était tombé : une antenne spécialisée dans les pràªches évangélistes. Et c’est là qu’il réalisa : les gars de chez Feroni étaient des malins. Un système ingénieux ! Une vieille faà§ade d’autoradio, et derrière, sà »rement un système informatique qu’était dissimulé. Genre un disque dur, tu vois. Et quand tu tournes le bouton des stations, à§a fait un peu comme une souris : hop ! à‡a clique sur un programme pré-enregistré. Excellent ! L’illusion parfaite de rouler aux States !
Tony se pencha de nouveau vers l’autoradio. Chercha une nouvelle fréquence. Quasi illico reconnut la rythmique lourde de Led Zep. Voilà ce qu’il lui fallait ! Du gros qui tà¢che... Trop cool ! Sauf que... Avec une autre bagnole, il aurait freiné à mort. La Ford, tu lui fais à§a, elle se barre du cul sans prévenir. T’es bon pour aller goà »ter aux glissières ! Pas grave. Il restait la deuxième sortie : Montigny Nord. Et puis, ils avaient eu la bonne idée de monter un GPS dans leur antiquité. à‡a lui ferait gagner du temps. Pas qu ?il risque de se perdre, non... Mais pas souvent qu’il venait en bagnole au nord de l’agglo. à€ part aller voir Fred et sa copine. Mais sinon... Bon, il voyait bien où elle était la mairie de Montigny. Mais là , il allait sortir du cà´té du stade... Montigny... Mairie... L’itinéraire s’affichait sur l’écran. Temps estimé : 13 minutes environ.
Dingue comme il suffit d’un détail qui merde et après comment à§a s’enchaîne... Tu vas pas me dire qu’ils auraient pas pu finir leurs travaux ? Laisser une sortie fermée tout un week-end ! On se foutait de la gueule de qui ? En rogne, Tony. Avec toutes ces conneries, il finirait par àªtre à la bourre ! Faites demi-tour dès que possible... Il manquait plus que la voix synthétique de la bécane. Comme si les connards qui programmaient ces engins-là pouvaient imaginer qu’on franchisse le terre-plein central d’une autoroute. T’es dessus, t’y restes ! Vacherie !... On le faisait taire comment, cet engin ? Mute... Heureusement, Page balanà§ait le solo de Rock’n’roll. Monter le volume de l’autoradio lui calmerait peut-àªtre les nerfs.
La vie vous réserve parfois de ces hasards... Juste après le jingle : KABC Los Angeles... Classic rock radio... Angus entamait son intro. Triolet sur un accord de la. Quand màªme pas à§a qui avait pu affoler l’écran du GPS ! Devenu soudain tout noir. Branché pourtant. On. Off. Rien n’y fit. Ce coup-ci, s’il était pas en retard !... Fred devait commencer à s’impatienter, c’était sà »r. Quant à à‰dith, la connaissant... Un drà´le de paquet de nerfs. Pas le genre de fille avec qui il aurait pu vivre. Peut-àªtre appeler son pote. Lui dire qu’il s’affole pas. Son portable était dans la poche de sa veste. Heureusement qu’il l’avait éteint. C’était mieux que ce soit lui qui appelle. Prendre les devants, dans ces cas-là ... Un truc venait de lui traverser l’esprit : il fait comment, le maire, quand t’es vraiment trop à la bourre ? Il te fait passer entre deux rendez-vous, comme chez le toubib ? Ou il te te fixe un nouveau rencart six mois plus tard, comme chez le dentiste ?
Il aimait pas téléphoner en conduisant. Surtout là , avec cette charrette. Mais guère de risque de se planter ! Quand à§a va mal... On dit à§a : loi des séries. Il retrouverait peut-àªtre du réseau un peu plus loin. Highway to hell... Quand tu vois le prix que tu raques en abonnement ! C’est comme sur ces putains d’autoroute : vraiment pas généreux en panneaux depuis la privatisation ! Highway to hell... Si au moins ils indiquaient à combien de bornes elle était la prochaine sortie. Mais rien ! T’es pràªt à payer pour gagner du temps et résultat... à€ te dégoà »ter de prendre l’autoroute, moi je te le dis ! Mais inutile de speeder inutilement. Plutà´t reprendre en chœur avec Bon Scott : I’m on the highway to hell...

première publication sur le site de Franà§ois Bon, The Lovecraft Monument
generated by :
(Ràªve d ?un) véhicule – train, voiture, etc – qui est baigné de stupeur ou de fièvre, et devenu un fragment du passé ou d ?un monde d ?une autre dimension – emmenant son passager hors de la réalité – dans des régions archaà¯ques et vagues remplies d ?incroyables golfes et merveilles.
H. P. Lovecraft, The Commonplace Book, note 208.

voir aussi :
« Véhicule fantà´me. Un homme monte à son bord et se voit transporté dans un monde irréel. » H. P. Lovecraft in Le Livre de raison, « Liste de certains éléments horrifiants fondamentaux utilement mis en œuvre dans le récit d’épouvante »

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