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LOVECRAFT GENERATOR

road trip

On ne peut pas tout raconter. Ou du moins pas tout de suite. Il faut parfois du temps. à‡’aura été le cas pour ce souvenir. Présent à l’esprit dès mes premières tentatives d’écriture, mais toujours repoussé. J’avais quinze ans, l’été avant d’entrer au lycée. Je passais les deux mois à bosser chez mon oncle, le frère de ma mère. Sa station-service était juste à cà´té de la maison. Je servais l’essence, donnais un petit coup de mains à l’atelier. Pas grand-chose, un boulot de grouillot. Ce qui était bien c’était de pouvoir s’asseoir derrière un volant, conduire un peu. Quelques mètres du pont élévateur à la cour gravillonnée. Pas màªme le temps de passer la deuxième. Les seuls trajets plus longs c’était en cas de remorquage. Comme cette fois que je n’ai jamais réussi à raconter. Jamais osé. Pourtant un moment-clé, fondateur. C’était une vieille Aronde. Une antiquité déjà pour l’époque. On avait laissé la 403 devant une grange. Plus toute jeune elle aussi la 403, mais sacrément robuste pour tracter. Un modèle pick-up on dirait aujourd’hui. Avec un gyrophare orange sur le toit. Et un palan installé à l’arrière. Il avait fallu enlever la couverture qui protégeait la carrosserie. Je revois encore le geste de l’oncle, comme tirant le rideau. à‡a lui plaisait les vieux modèles. On était déjà allés au Mans ensemble, voir le circuit, le musée de l’automobile. Celle était restée longtemps sans rouler. Entre un tracteur et une botteleuse à foin. Le gars qui l’avait était mort deux trois ans plus tà´t. Mon oncle m’avait raconté en y allant. Un célibataire. Des frères et sœurs qui se disputaient l’héritage. Alors le temps que la succession soit réglée. Finalement c’était une espèce de brocanteur qui avait racheté les bà¢timents. Pour les terres, la famille avait réussi à trouver preneurs. Le Crédit Agricole pràªtait encore aux petits éleveurs et aux producteurs de lait. Eux aussi bientà´t ils disparaîtraient. Le broc était un gars plutà´t sympa. Sans à§a tout se serait passé très différemment. Ou peut-àªtre bien màªme que rien ne serait arrivé. On y était allés après le repas du soir, parce que dans la journée il était occupé à son magasin sur Angers. Le temps de discuter voitures, de l’ancien propriétaire, de boire un coup... Il était passé dix heures quand on démarré tout doucement. à‡a faisait toujours des secousses avec la barre de remorquage. Une espèce de claquement, de bruit de ferraille. Des fois màªme à§a grinà§ait dans les virages, quand la boule de l’attelage était pas suffisamment graissée. Et des virages c’est pas ce qui manquait sur la petite route qu’il fallait qu’on emprunte. Peut-àªtre l’orage de la veille qui avait lessivé la graisse. En tout cas à§a couinait tant que à§a pouvait. J’étais vraiment pas rassuré. Rien que pour à§a je crois que je me serais souvenu de cette soirée. J’avais comme l’impression que la bagnole allait se décrocher et partir je ne sais où. Et puis il y avait pas que à§a. Effet des verres de blanc peut-àªtre, mais l’oncle et le broc avaient semblé prendre plaisir à me foutre les jetons. C’était à propos du mort. Ce qu’on disait de lui. Son cà´té bizarre. Les pouvoirs qu’il aurait eus. Ce qui serait passé dans la ferme. C’était pas la première fois que j’entendais ce genre d’histoires. Mais le fait de se trouver sur les lieux. D’avoir découvert Poe peu de temps auparavant. On aurait dit qu’ils s’entraînaient l’un l’autre. Et le plus surprenant, c’était qu’ils avaient l’air de croire à la réalité de qu’ils évoquaient. Alors, derrière le volant, quand j’ai commencé à les apercevoir... Au début je me suis dit que je me faisais des films. Qu’avec la nuit qui tombait, la lumière du gyrophare, l’Aronde sans éclairages, mon imagination me jouait des tours. Facile en pays de bocage de transformer en monstres les silhouettes des arbres. Surtout que la route était de chaque cà´té bordée de haies et encaissée. Une sorte de chemin creux goudronné. Mais ils étaient trop nombreux pour que ce soit mon imagination. Ou alors, d’enfant nerveux que j’avais été, je glissais vers la folie. Mais tous ces hommes croisés, marchant sur le bas-cà´té. Portant des sortes de vestes de grosse toile qui n’allaient que jusqu’aux hanches. Marchant en sabots. Ou tenant leurs souliers à la main. Une gourde suspendue à leur cou par une ficelle. Hommes aux cheveux longs qui passaient impassibles. D’autres saluant de la main. Cette jeune femme assise en travers d’un cheval breton. Cet homme vàªtu d’une peau de bique, fouet de cuir à la main. Je les ai vus. Je les voyais comme je voyais devant la 403. Je les vois encore. Sortis des haies d’épines et de genàªts. Longue file hideuse qui glissait à la manière des fantà´mes. Tous ces visages dont je n’ai jamais rien dit. Pas màªme à mon oncle. Qui sans doute les avait lui aussi croisés. Et vus. C’est du moins ce que je crois encore aujourd’hui. Aucune raison sinon de ne pas avoir gardé l’Aronde. De ne pas l’avoir remise en route et exhibée dans la cour près de l’atelier, auprès de la Dauphine, de la Quatre chevaux et des DS. Aucune raison sinon d’avoir fait enlever l’Aronde quelques jours plus tard. On ne l’avait pas remorquée jusqu’à la casse celle-ci. Le gars était passé avec son camion équipé d’une grue. Mais je savais que à§a ne suffirait pas.

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(Ràªve d ?un) véhicule – train, voiture, etc – qui est baigné de stupeur ou de fièvre, et devenu un fragment du passé ou d ?un monde d ?une autre dimension – emmenant son passager hors de la réalité – dans des régions archaà¯ques et vagues remplies d ?incroyables golfes et merveilles.
H. P. Lovecraft, The Commonplace Book, note 208 .

LOVECRAFT GENERATOR, le projet
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