// Vous lisez...

notes de chevet

notes de chevet | notes #2

Li Chang-yin était né en Chine deux cents avant Sei Shà´nagon. Il mourut vers 858 à Tcheng-tcheou. Les livres de Li Chang-yin étaient des additions de listes-collections : « Choses qui font naître un sentiment de tristesse », « Choses qui ne s’accordent pas », « Choses de mauvais augure » ou « Choses illogiques ». (...)
Le Yi-chan tsa-ts’ouan de Li Chang-yin a été traduit en franà§ais par Georges Bonmarchand en 1955. Ces listes-collections exercèrent durant deux cents ans une séduction qui s’éteignit soudain sous les Song. Ces collections avaient pullulé : celles de Wang Kiou-yu, celles de Sou Tong-po, celles de Houang Yun-kiao, celles de Wei Kiun-seou ou de Kou Tsong-tchu. Sei Shà´nagon se dit : « Il y aura la liste-collection de Sei. »
(...)
Li Siun disait du livre de Li Chang-yin que ces collections de choses concrètes classées, bien qu’elles ne réunissent que des fragments, « creusent profondément le côté caché des choses de la vie courante ». L’univers des sentiments et des choses est passé au travers d’un crible dont le dessin est étrange, et qui n’a pas son pareil, et qui ne semble pas s ?être jamais renouvelé.
(...)
Un oreiller : la seule façon de prêter l’oreille à l’oreille elle-même. Sauf quand le sang monte à la tête et bat dans la nuit. Sei Shônagon joua plus que personne au monde avec l’univers qui l’entourait. Le congénère nous tend un miroir, mais aussi l’arbre, la lune, l’ourlet d’un vêtement, le bruissement de soie que fait le kimono d’un homme qui marche, l’itinéraire dans le cœur d’un dépit qui le déchire. Je rêve d’écrivains qui pour rajeunir des genres devenus parfois empoussiérés ou fastidieux chercheraient à acclimater dans notre langue les formes littéraires anciennes, à la fois si raffinées et si rudimentaires, arrachées aux littératures proche-orientales, indiennes ou islandaises, ou extrême-orientales. Afin de se laisser méduser par une passion plus vigoureuse ou plus élémentaire. Je cherche quelque chose d’imprévisible. Le mulet, issu de l’accouplement d’une jument et d’un âne, est stérile. Le bardot, issu de l’accouplement d’un cheval et d’une ânesse, est stérile. Les naturalistes appellent ces êtres des « hybrides inféconds ». Il faudrait écrire des hybrides inféconds.
Pascal Quignard, Petits Traités, « L’oreiller de Sei »

notes de chevet | sommaire

Commentaires

Pas de Message - Forum fermé