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habiter | anthologie

l’oeil à hauteur de la serrure

C’était machinal. Le temps de déboutonner son pardessus et son veston pour prendre la clef dans la poche droite du pantalon, il avanà§ait légèrement la tàªte, en l’inclinant à peine, et il avait l’oeil à hauteur de la serrure. Il n’avait pas besoin de rapprocher son visage. Le corridor semblait très long, un interminable espace neutre dans le faible éclairage doré de la lanterne aux vitraux, et, tout au fond de cette perspective, la porte de la cuisine s’éclairait violemment.
Ceux qui voient des scènes du passé ou de l’avenir dans des boules de cristal doivent les voir de la sorte. La porte, elle aussi, était toute petite, avec ses seize carreaux allongés et, presque toujours, derrière, on apercevait Laurence, car c’était sa place.
Mais c’était une Laurence à la fois terriblement ressemblante et terriblement lointaine, dans le temps comme dans l’espace, une Laurence qui tricotait, ou qui mangeait, ou qui parlait, ou plutà´t qui agitait les lèvres sans émettre de bruit, s’adressant à des personnes invisibles dans l’autre partie de la cuisine. Presque toujours, au moment où la clef cliquetait contre le métal de la serrure avant de s’y enfoncer, son visage se tournait vers le no man’s land du corridor et alors, sur ses lèvres remuées, on devinait :
Voilà Charles...
Simenon, Oncles Charles s’est enfermé

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