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d’écrire

ont pensé en moi

Je n’ai pas de désir de découvrir des zones d’ombre de ma vie, ni de me souvenir de tout ce qui m’est arrivé, et mon passé, en soi, ne m’intéresse pas spécialement. Je me considère très peu comme un àªtre unique, au sens d’absolument singulier, mais comme une somme d’expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent), le tout formant, oui, forcément, une subjectivité unique. Mais je me sers de ma subjectivité pour retrouver, dévoiler des mécanismes ou des phénomènes plus généraux, collectifs. Cette formulation ne me satisfait pas à vrai dire. Quelquefois j’ai aimé dire : « Je vis comme tout le monde les choses sur un mode particulier, mais je veux les écrire sur celui du général. » Peut-àªtre est-ce à la fin de L’événement que j’ai le mieux exprimé cela, en disant que je voudrais que toute ma vie devienne qulque chose d’intelligible et de général, se dissolve complètement dans la tàªte et la vie des gens. Il y a une phrase de Brecht qui a beaucoup de sens pour moi : « Il pensait dans les autres et les autres pensaient en lui. » Au fond, le but final de l’écriture, l’idéal auquel j’aspire, c’est de penser et de sentir dans les autres, comme les autres — des écrivains, mais pas seulement — ont pensé en moi.
Annie Ernaux, L’écriture comme un couteau, Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet

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