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d’écrire

auquel je ne peux répondre qu’en écrivant

En fait, me semble-t-il, au-delà de ces quatre pà´les qui définissent les quatre horizons de mon travail — le monde qui m’entoure, ma propre histoire, le langage, la fiction —, mon ambition d’écrivain serait de parcourir toute la littérature de mon temps sans jamais avoir le sentiment de revenir sur mes pas ou de remarcher dans mes propres traces, et d’écrire tout ce qui est possible à un homme d’aujourd’hui d’écrire : des livres gros et des livres courts, des romans et des poèmes, des drames, des livrets d’opéra, des romans policiers, des romans d’aventures, des romans de science-fiction, des feuilletons, des livres pour enfants...
Je n’ai jamais été à l’aise pour parler d’une manière abstraite, théorique, de mon travail ; màªme si ce que je produis semble venir d’un programme depuis longtemps élaboré, d’un projet de longue date, je crois plutà´t trouver — et prouver — mon mouvement en marchant : de la succession de mes livres naît pour moi le sentiment, parfois réconfortant, parfois inconfortable (parce que toujours suspendu à « un livre à venir », à un inachevé désignant l’indicible vers quoi tend désespérément le désir d’écrire), qu’ils parcourent un chemin, balisent un espace, jalonnent un itinéraire tà¢tonnant, décrivent point par point les étapes d’une recherche dont je ne saurais dire le « pourquoi » mais seulement le « comment » : je sens confusément que les livres que j’ai écrits s’inscrivent, prennent leur sens dans une image globale que je me fais de la littérature, mais il me semble que je ne pourrai jamais saisir précisément cette image, qu’elle est pour moi un au-delà de l’écriture, un « pourquoi j’écris » auquel je ne peux répondre qu’en écrivant, différant sans cesse l’instant màªme où, cessant d’écrire, cette image deviendrait visible, comme un puzzle inexorablement achevé.
Georges Perec, Penser/Classer, « Notes sur ce que je cherche »

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