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fictions

prémices d’une guerre

après avoir débuté la lecture de l’anthologie d’Antoine Compagnon sur les écrivains et la guerre de 14

prémices d’une guerre #1
prémices d’une guerre #2

13/10/14
(matin)
les distributeurs de billets étaient vides, les réseaux téléphoniques saturés, certains titres de presse avaient comparé la situation à celle d’une nuit de la Saint-Sylvestre, certains en avaient été choqués, la polémique avait enflé, et avait cessé comme elle était née, au bout de quelques jours, plusieurs réseaux sociaux avaient envisagé de cesser leurs activités, l’avaient laissé entendre, mais finalement avaient poursuivi, comme avant ou presque, une différence notable pour les jeunes hommes appelés au combat, étaient les publicités qui s’affichaient sur leurs comptes, duvet, chaussures de marches, lampes, et tout un tas d’accessoires de camping, on disait que le matériel de l’armée était peu résistant, de mauvaise qualité, plusieurs militaires avaient été condamnés pour propagation d’informations visant à détruire le moral des conscrits, le mot avait refait surface, on polémiquait sur le niveau moyen de formation, l’acceptation de la part de gens instruits d’aller ainsi se battre, personne n’osait dire que les peuples ne décidaient jamais des guerres, on préférait parler de défense de la liberté, défense des valeurs, on ne traitait pas encore les autres de barbares, on disait seulement défendre la civilisation, sur les plateaux télé, on refusait l’expression choc des civilisations parce qu’on le disait trop empreint d’idéologie, laquelle on ne précisait jamais, on accusait l’ennemi d’actes de barbarie, on parlait de pratiques archaà¯ques, on aimait brandir le terme de nations, unies de surcroît, face à des groupes terroristes, dont les intéràªts se confondaient souvent avec ceux de groupes mafieux, dont les rivalités trouvaient leurs sources dans de lointaines oppositions tribales, beaucoup partaient vers les casernes avec plusieurs téléphones portables, le bruit courait qu’on les confisquait, beaucoup les dissimulait dans leur duvet, ou dans la doublure d’une parka, les magasins de sport n’arrivaient plus à réapprovisionner leurs rayons de nourriture lyophilisée, le ciel était saturé de gros porteurs, sur les réseaux sociaux les vidéos de chatons avaient été remplacées par des clips émanant du ministère de l’Intérieur concernant qu’on appelait l’ennemi interne, on donnait les signes de reconnaissance permettant de l’identifier, fleurissaient aussi des slogans condamnant le défaitisme, notamment de ceux qu’on appelait intellos bàªlants, dans les premières heures de la déclaration d’entrée en guerre, on avait vu dans les rues des visages peints des trois couleurs du drapeau, comme certains soirs de coupe du monde, un embouteillage énorme de voitures klaxonnant s’était formé sur les Champs à‰lysées et dans différentes métropoles franà§aises, les journaux télé de 20 heures s’étaient vantés d’avoir obtenu l’exclusivité de reportages, tous concernaient les préparatifs de départ aux armées de footballeurs,

13/10/14
(après-midi)

sur le modèle du Youporn était né un Youfight, on parlait de sites web bravant la censure, où muni d’un code et d’un identifiant on avait accès à la vérité quant au front, quelques numéros de téléphone avaient circulé, qui, sollicités par un texto, vous donnaient les dernières infos sur tel ou tel point, ou màªme la position exacte et l’état de santé de vos proches sur le front, les académiciens avaient organisé une cérémonie exceptionnelle de soutien aux écrivains envoyés au combat, on évoquait la possibilité d’une anthologie dans la Pléiade des écrivains morts pour la liberté, c’était, alternativement, pour la liberté que l’on mourait, ou pour la civilisation, pour nos valeurs, parfois pour les droits de l’homme, mais cette expression semblait usée, comme la qualifiait nombre de commentateurs politiques, des penseurs à initiales apparaissaient en tenue de combat sur les écrans télé, souvent filmés sur des pistes d’aéroport, JK Rowling aurait cédé ses droits pour une édition spéciale distribuée gratuitement aux soldats, l’acteur incarnant Harry se serait enfui sans laisser d’adresse plusieurs semaines avant le début du conflit, on parle d’un pays d’Amérique du sud complaisant, ou d’une île du Pacifique, certains n’ont pas manqué d’y voir un signe de défaite, extrapolant sur l’inévitable victoire du Mal, le pape, dont on connaît la carrière chez les Jésuites, a déclaré la guerre effroyable mais nécessaire, quelques dirigeants du mouvement écologiste européen voudraient voir dans cette guerre un fléau salvateur, susceptible de nous faire abandonner le recours systématique aux énergies fossiles, après les stations-services des supermarchés fermées les unes après les autres, puis la protection des raffineries par la troupe, on ne compte plus les véhicules abandonnés le long des routes et autoroutes, on signale le cas de camions transformés en habitation par des populations migrantes, l’architecte du mur qui, à San Diego, se poursuit jusque dans la mer, aurait été contacté par les maires de plusieurs villes de la cà´te méditerranéenne, l’expression : sans cynisme aucun, connaît un grand succès lorsqu’on évoque la baisse du chà´mage, depuis que plusieurs médiathèques avaient retiré l’ouvrage de leurs rayons, arguant du nécessaire désherbage annuel, circulait sous le manteau une édition numérique du Rivage des Syrtes,

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