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d’écrire

rien sous la main que le vide

Ce qu’on appelle ridiculement le "travail de l’écrivain" est une oisiveté qui confine à la misère. Il n’a pas de bout de couverture, de tricot, à peine d’agitation manuelle. Ce travail n’apaise pas, il ne dirige pas la pensée hors de soi, il ne fournit pas de dérivation à l’animation propre à un corps. Il n’a pas de corps sous la main sur lequel faire passer l’intensité vide qui monte en lui, et qui alors n’a pas d’issue. Le bouc émissaire c’est sa tàªte màªme. (Pas d’os à ronger sinon la fiction si abstraite de sa langue. Et qui n’exorcise rien si elle la matière màªme du sort qui lui a été lancé, l’étoffe màªme dont a été tissée l’angoisse qu’elle tà¢che en vain à prévenir.) Rien sous la main que le vide. Sinon le petit morceau de crayon qu’il étreint. les mots, qui désignent des choses absentes, relaient bien piètrement ce qui lui fait défaut et qui l’a poussé assez malencontreusement à s’adresser à eux : ils préservent au bout du compte le manque quand il cherchait par leur moyen à se protéger contre le vide et les appels à la mort, à se soustraire à l’abandon, et à s’abriter vainement de la longueur des nuits et de l’effroi. Sans doute a-t-il plutà´t assez mal choisi sa pelote de ficelle. Pareil expédient, c’est la tunique de Nessos. Chrysostome a affirmé que la parole était une robe d’apparat.
Pascal Quignard, Petits traités, XIVe traité, Noèsis

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