// Vous lisez...

je me souviens

je me souviens | compilation 8

je me souviens, dans le cabinet du médecin de famille, du crâne posé sur une étagère — main qui soigne et vanité | je me souviens de cette photo noir et blanc où j’ai trois quatre ans et pousse un pneu devant le préfabriqué de l’école maternelle | le souvenir m’en est revenu en voyant des enfants jouer avec des chambres à air dans Jacquot de Nantes | je me souviens avoir emmené des vieux pneus à l’école maternelle avec mon oncle — il les avait chargés à l’arrière de la 403 pick-up qui lui servait de dépanneuse | je me souviens de l’allée bordée de peupliers que nous avons remontée, un mercredi matin où flottait un peu de brume — je n’avais jamais vu de voiture circuler là | je me souviens que le volant blanc et bosselé de la 403 m’évoquait les os d’un squelette | je
me souviens des chiens tirant sur leurs chaînes à l’entrée de la casse automobile, de l’attente dans la 403, et du retour avec aux pieds les outils et la pièce qu’on était venu chercher | de l’odeur de caoutchouc dans l’ancienne chambre de ma grand-mère — c’était là qu’étaient stockés les pneus | des références pour les pneus et les chambres à air que je me répétais en allant les chercher : 145x13, 145x13 | de ce clip de Trust tourné dans une casse automobile où on voyait les membres du groupe briser des pare-brises à coups de masse — comme une violence dérisoire | de j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans | des feux en hiver dans le pré derrière la maison, les flammes hautes alimentées par les pneus, leur structure en ferraille carbonisée au-dessus des cendres, et ce que ça signifiait de rester auprès tout un après-midi, jusqu’à la nuit tombée | du geste de mon père essuyant la lame de son couteau sur pantalon de bleu, un côté puis l’autre, et de deux doigts, index et majeur, d’une pression refermer | de l’institutrice de maternelle qui cassait des noix dans la paume de sa main pendant qu’on travaillait en silence | d’une horloge en carton, avec les aiguilles retenues par une attache parisienne, pour apprendre à lire l’heure | de Perceval le Gallois, le premier film que je sois allé voir au cinéma — c’était avec le collège | du prof d’histoire qui était venu me chercher un mercredi après-midi pour aller voir Le pull-over rouge | c’est aussi pour dire les dettes qu’écrire cette série | je me souviens de son nom, Bruno Poulain | du soir décisif où mes parents avaient accepté qu’il m’emmène voir un spectacle contre le nucléaire, Kergrist le clown atomique | je me souviens avoir croisé le bonhomme dans un salon du livre en Bretagne | je me souviens de la salle en sous-sol, tout de béton, où avait lieu le spectacle, et de la transgression que c’était d’aller dans la cité Laurent Bonnevay, d’approcher de si près une des plaies de la ville | je me souviens qu’il m’avait emmené chez lui pour manger avant le spectacle, une omelette avec des endives et des cerneaux de noix | je me souviens de ma lecture de Reiser sur le canapé, de sa femme qui m’avait parlé du Petit Nicolas, et de la chanson d’Higelin, I love the
queen
— un monde si différent pour le gamin de douze ans | je me souviens qu’avant le spectacle on était passé voir le prof de sciences naturelles qui habitait un patelin à côté | je me souviens chez lui d’une guitare Fender sur un trépied et d’un poster d’Hendrix | je me souviens qu’on était passé parce que Bruno et sa femme voulaient saluer la copine du prof de sciences, qui partait le lendemain vers l’Inde — c’était approcher un monde déjà en train de mourir, d’une génération en train de s’effacer | je me souviens du premier concert auquel j’aie assisté, emmené par le même à la même époque — c’était au théâtre de Cholet — c’était aussi la première fois que j’entrais dans un théâtre : le gars sur scène s’appelait Henri Tachan, habillé tout en noir, et
accompagné par un pianiste | je me souviens qu’accéder au monde avait un parfum de transgression

regarder les vidéos sur YouTube

Commentaires

Pas de Message - Forum fermé