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traversée Balzac

La cousine Bette

Où la lecture de Dante, et ce que la référence implique quant à la nature du projet de Balzac :

Vous m’avez fait apercevoir la merveilleuse charpente d’idées sur laquelle le plus grand poète italien a construit son poème, le seul que les modernes puissent opposer à celui d’Homère.

Où, de nouveau, il est question de capitulations de conscience

Où le portrait renvoie à la littérature :

Lisbeth fut alors la brune piquante de l’ancien roman français.

Où la figure du Sauvage :

La cousine Bette présentait dans les idées cette singularité qu’on remarque chez les natures qui se sont développées fort tard, chez les Sauvages qui pensent beaucoup et parlent peu.

Cet esprit rétif, capricieux, indépendant, l’inexplicable sauvagerie de cette fille

Elle ne domptait que par la connaissance des lois et du monde, cette rapidité naturelle avec laquelle les gens de la campagne, de même que les Sauvages, passent du sentiment à l’action. En ceci peut-être consiste toute la différence qui sépare l’homme naturel de l’homme civilisé. Le Sauvage n’a que des sentiments, l’homme civilisé a des sentiments et des idées. Aussi, chez les Sauvages, le cerveau reçoit-il pour ainsi dire peu d’empreintes, il appartient alors tout entier au sentiment qui l’envahit, tandis que chez l’homme civilisé, les idées descendent sur le cœur qu’elles transforment ; celui-ci est à mille intérêts, à plusieurs sentiments, tandis que le Sauvage n’admet qu’une idée à la fois. C’est la cause de la supériorité momentanée de l’enfant sur les parents et qui cesse avec le désir satisfait ; tandis que, chez l’homme voisin de la Nature, cette cause est continue. La cousine Bette, la sauvage Lorraine, quelque peu traîtresse, appartenait à cette catégorie de caractères plus communs chez le peuple qu’on ne pense, et qui peut en expliquer la conduite pendant les révolutions.

Il y a chez le Slave un côté enfant, comme chez tous les peuples primitivement sauvages, et qui ont plutôt fait irruption chez les nations civilisées qu’ils ne se sont réellement civilisés. Cette race s’est répandue comme une inondation, et a couvert une immense surface du globe. Elle y habite des dé-serts où les espaces sont si vastes, qu’elle s’y trouve à l’aise ; on ne s’y coudoie pas, comme en Eu-rope, et la civilisation est impossible sans le frottement continuel des esprits et des intérêts. L’Ukraine, la Russie, les plaines du Danube, le peuple slave enfin, c’est un trait-d’union entre l’Europe et l’Asie, entre la civilisation et la barbarie.

Je la tuerai ! répéta froidement le Brésilien. Ah çà ! vous m’avez appelé Sauvage !… Est-ce que vous croyez que je vais imiter la sottise de vos compatriotes qui vont acheter du poison chez les pharmaciens ?… J’ai pensé, pendant le temps que vous avez mis à venir chez vous, à ma vengeance, dans le cas où vous auriez raison contre Valérie. L’un de mes nègres porte avec lui le plus sûr des poisons animaux, une terrible maladie qui vaut mieux qu’un poison végétal et qui ne se guérit qu’au Brésil, je la fais prendre à Cydalise, qui me la donnera ; puis, quand la mort sera dans les veines de Crevel et de sa femme, je serai par delà les Açores avec votre cousine que je ferai guérir et que je prendrai pour femme. Nous autres Sauvages, nous avons nos procédés !…

Où la France, terre d’accueil :

Ah ! s’écria le malheureux qui sentait encore l’amertume de sa première étreinte avec la Mort, les exilés de tous les pays ont bien raison de tendre vers la France, comme font les âmes du purgatoire vers le paradis. Quelle nation que celle où il se trouve des secours, des cœurs généreux partout, même dans une mansarde comme celle-ci !

Où passer par Shakespeare :

C’était enfin la Tempête de Shakespeare renversée, Caliban maître d’Ariel et de Prospero.

Où multiplier les points de vue :

Or, voici ce qui se passa simultanément dans la boutique et hors de la boutique.

love at first sight :

L’œuvre de la nature, en ce genre s’appelle : aimer à première vue. En amour, la première est tout bonnement la seconde vue.

Où l’Algérie :

Il y a dans l’Algérie (pays encore peu connu, quoique nous y soyons depuis huit ans) énormément de grains et de fourrages. Or, quand ces denrées appartiennent aux Arabes, nous les leur prenons sous une foule de prétextes ; puis, quand elles sont à nous, les Arabes s’efforcent de les reprendre. On combat beaucoup pour le grain ; mais on ne sait jamais au juste les quantités qu’on a volées de part et d’autre. On n’a pas le temps, en rase campagne, de compter les blés par hectolitre comme à la Halle et les foins comme à la rue d’Enfer. Les chefs arabes, aussi bien que nos spahis, préférant l’argent, vendent alors ces denrées à de très-bas prix. L’administration de la guerre, elle, a des besoins fixes ; elle passe des marchés à des prix exorbitants, calculés sur la difficulté de se procurer des vivres, sur les dangers que courent les transports. Voilà l’Algérie au point de vue vivrier. C’est un gâchis tempé-ré par la bouteille à l’encre de toute administration naissante. Nous ne pouvons pas y voir clair avant une dizaine d’années, nous autres administrateurs, mais les particuliers ont de bons yeux. Donc, je vous envoie y faire votre fortune

Où le roman est tragédie :

Ici se termine en quelque sorte l’introduction de cette histoire. Ce récit est au drame qui le complète, ce que sont les prémisses à une proposition, ce qu’est toute exposition à toute tragédie classique.

Où Balzac défenseur des fonctionnaires :

La parcimonie de l’État ou des chambres, si vous voulez, cause bien des malheurs, engendre bien des corruptions. On s’apitoie en ce moment beaucoup sur le sort des classes ouvrières, on les pré-sente comme égorgées par les fabricants ; mais l’État est plus dur cent fois que l’industriel le plus avide ; il pousse, en fait de traitements, l’économie jusqu’au non-sens. Travaillez beaucoup, l’Industrie vous paye en raison de votre travail ; mais que donne l’État à tant d’obscurs et dévoués travailleurs ?

Où Balzac le réactionnaire :

Quelle est la maîtresse de maison qui n’a pas, depuis 1838, éprouvé les funestes résultats des doc-trines antisociales répandues dans les classes inférieures par des écrivains incendiaires ? Dans tous les ménages, la plaie des domestiques est aujourd’hui la plus vive de toutes les plaies financières. À de très-rares exceptions près, et qui mériteraient le prix Monthyon, un cuisinier et une cuisinière sont des voleurs domestiques, des voleurs gagés, effrontés, de qui le gouvernement s’est complaisamment fait le recéleur, en développant ainsi la pente au vol, presque autorisée chez les cuisinières par l’antique plaisanterie sur l’anse du panier. Là où ces femmes cherchaient autrefois quarante sous pour leur mise à la loterie, elles prennent aujourd’hui cinquante francs pour la caisse d’épargne. Et les froids puritains qui s’amusent à faire en France des expériences philanthropiques, croient avoir moralisé le peuple ! Entre la table des maîtres et le marché, les gens ont établi leur octroi secret, et la ville de Paris n’est pas si habile à percevoir ses droits d’entrée, qu’ils le sont à prélever les leurs sur toute chose. Outre les cinquante pour cent dont ils grèvent les provisions de bouche, ils exigent de fortes étrennes des fournisseurs. Les marchands les plus hauts placés tremblent devant cette puis-sance occulte ; ils la soldent sans mot dire, tous : carrossiers, bijoutiers, tailleurs, etc. À qui tente de les surveiller, les domestiques répondent par des insolences, ou par les bêtises coûteuses d’une feinte maladresse ; ils prennent aujourd’hui des renseignements sur les maîtres, comme autrefois les maîtres en prenaient sur eux. Le mal, arrivé véritablement au comble, et contre lequel les tribunaux commencent à sévir, mais en vain, ne peut disparaître que par une loi qui astreindra les domestiques à gages au livret de l’ouvrier. Le mal cesserait alors comme par enchantement. Tout domestique étant tenu de produire son livret, et les maîtres étant obligés d’y consigner les causes du renvoi, la démoralisation rencontrerait certainement un frein puissant. Les gens occupés de la haute politique du moment ignorent jusqu’où va la dépravation des classes inférieures à Paris : elle est égale à la jalousie qui les dévore. La Statistique est muette sur le nombre effrayant d’ouvriers de vingt ans qui épousent des cuisinières de quarante et de cinquante ans enrichies par le vol. On frémit en pensant aux suites d’unions pareilles au triple point de vue de la criminalité, de l’abâtardissement de la race et des mauvais ménages. Quant au mal purement financier produit par les vols domestiques, il est énorme au point de vue politique. La vie ainsi renchérie du double, interdit le superflu dans beaucoup de ménages. Le superflu !… c’est la moitié du commerce des États, comme il est l’élégance de la vie. Les livres, les fleurs sont aussi nécessaires que le pain à beaucoup de gens.

L’Église est, en France, excessivement fiscale ; elle se livre, dans la maison de Dieu, à d’ignobles trafics de petits bancs et de chaises dont s’indignent les Étrangers, quoiqu’elle ne puisse avoir oublié la colère du Sauveur chassant les vendeurs du Temple. Si l’Église se relâche difficilement de ses droits, il faut croire que ses droits, dits de fabrique, constituent aujourd’hui l’une de ses ressources, et la faute des Églises serait alors celle de l’État. La réunion de ces circonstances, par un temps où l’on s’inquiète beaucoup trop des nègres, des petits condamnés de la police correctionnelle, pour s’occuper des honnêtes gens qui souffrent, fait que beaucoup de ménages honnêtes restent dans le concubinage, faute de trente francs, dernier prix auquel le Notariat, l’Enregistrement, la Mairie et l’Église puissent unir deux Parisiens. L’institution de madame de La Chanterie, fondée pour remettre les pauvres ménages dans la voie religieuse et légale, est à la poursuite de ces couples, qu’elle trouve d’autant mieux qu’elle les secourt comme indigents, avant de vérifier leur état incivil.

Pour peindre ce quartier, il suffira de dire que les propriétaires de certaines maisons habitées par des industriels sans industries, par de dangereux ferrailleurs, par des indigents livrés à des métiers péril-leux, n’osent pas y réclamer leurs loyers, et ne trouvent pas d’huissiers qui veuillent expulser les loca-taires insolvables. En ce moment, la Spéculation, qui tend à changer la face de ce coin de Paris et à bâtir l’espace en friche qui sépare la rue d’Amsterdam de la rue du Faubourg-du-Roule, en modifiera sans doute la population, car la truelle est, à Paris, plus civilisatrice qu’on ne le pense ! En bâtissant de belles et d’élégantes maisons à concierges, les bordant de trottoirs et y pratiquant des boutiques, la Spéculation écarte, par le prix du loyer, les gens sans aveu, les ménages sans mobilier et les mau-vais locataires. Ainsi les quartiers se débarrassent de ces populations sinistres et de ces bouges où la police ne met le pied que quand la justice l’ordonne.

Où la relation de l’être et du décor :

Au premier coup d’œil jeté sur un intérieur, on sait qui y règne de l’amour ou du désespoir.

Où les temps changent :

Nous sommes, dit Lisbeth, dans un temps de chemins de fer, où les étrangers finissent en France par occuper de grandes positions.

Où il est question d’inspiration et de travail :

Cette habitude de la création, cet amour infatigable de la Maternité qui fait la mère (ce chef-d’œuvre naturel si bien compris de Raphaël !), enfin, cette maternité cérébrale si difficile à conquérir, se perd avec une facilité prodigieuse. L’Inspiration, c’est l’Occasion du Génie. Elle court non pas sur un rasoir, elle est dans les airs et s’envole avec la défiance des corbeaux, elle n’a pas d’écharpe par où le poète la puisse prendre, sa chevelure est une flamme, elle se sauve comme ces beaux flamants blancs et roses, le désespoir des chasseurs. Aussi le travail est-il une lutte lassante que redoutent et que ché-rissent les belles et puissantes organisations qui souvent s’y brisent. Un grand poëte de ce temps-ci disait en parlant de ce labeur effrayant : — Je m’y mets avec désespoir et je le quitte avec chagrin. Que les ignorants le sachent ! Si l’artiste ne se précipite pas dans son œuvre, comme Curtius dans le gouffre, comme le soldat dans la redoute, sans réfléchir ; et si, dans ce cratère, il ne travaille pas comme le mineur enfoui sous un éboulement ; s’il contemple enfin les difficultés au lieu de les vaincre une à une, à l’exemple de ces amoureux des féeries, qui, pour obtenir leurs princesses, com-battaient des enchantements renaissants, l’œuvre reste inachevée, elle périt au fond de l’atelier, où la production devient impossible, et l’artiste assiste au suicide de son talent. Rossini, ce génie frère de Raphaël, en offre un exemple frappant, dans sa jeunesse indigente superposée à son âge mûr opu-lent. Telle est la raison de la récompense pareille, du pareil triomphe, du même laurier accordé aux grands poètes et aux grands généraux.

Si Paganini, qui faisait raconter son âme par les cordes de son violon, avait passé trois jours sans étudier, il aurait perdu, selon son expression, le registre de son instrument ; il désignait ainsi le ma-riage existant entre le bois, l’archet, les cordes et lui ; cet accord dissous, il serait devenu soudain un violoniste ordinaire. Le travail constant est la loi de l’art comme celle de la vie ; car l’art, c’est la création idéalisée. Aussi les grands artistes, les poètes complets n’attendent-ils ni les commandes, ni les chalands, ils enfantent aujourd’hui, demain, toujours. Il en résulte cette habitude du labeur, cette perpétuelle connaissance des difficultés qui les maintient en concubinage avec la Muse, avec ses forces créatrices. Canova vivait dans son atelier, comme Voltaire a vécu dans son cabinet. Homère et Phidias ont dû vivre ainsi.

Les grands hommes appartiennent à leurs œuvres. Leur détachement de toutes choses, leur dévoue-ment au travail, les constituent égoïstes aux yeux des niais ; car on les veut vêtus des mêmes habits que le dandy, accomplissant les évolutions sociales, appelées devoirs du monde. On voudrait les lions de l’Atlas peignés et parfumés comme des bichons de marquise. Ces hommes, qui comptent peu de pairs et qui les rencontrent rarement, tombent dans l’exclusivité de la solitude ; ils deviennent inexplicables pour la majorité, composée, comme on le sait, de sots, d’envieux, d’ignorants et de gens superficiels.

Où rien de neuf sous le soleil :

Claude Vignon était devenu, comme tant d’autres, un homme politique, nouveau mot pris pour dési-gner un ambitieux à la première étape de son chemin. L’homme politique de 1840 est en quelque sorte l’abbé du dix-huitième siècle. Aucun salon ne serait complet, sans son homme politique.

Où réécrire :

Oui, gros maire, dit en souriant cette madame de Merteuil bourgeoise

Où renvoyer à une œuvre des débuts :

Et il fit la moue terrible qui rendait ses soldats attentifs quand il examinait les genêts de la Bretagne en 1799. (Voir Les Chouans.)

Où la figure de l’esclave :

Et bien ! je prends cette Normande, et l’emmène…
— Où ?… demanda Carabine.
— Au Brésil ! répondit le baron, j’en ferai ma femme. Mon oncle m’a laissé dix lieues carrées de pays invendables, voila pourquoi je possède encore cette habitation ; j’y ai cent nègres, rien que des nègres, des négresses et des négrillons achetés par mon oncle…
— Le neveu d’un négrier !… dit Carabine en faisant la moue, c’est à considérer. Cydalise, mon enfant, es-tu négrophile ?
— Ah çà ! ne blaguons plus, Carabine, dit la Nourrisson. Que diable ! nous sommes en affaires, monsieur et moi.
— Si je me redonne une Française, je la veux toute à moi, reprit le Brésilien. Je vous en préviens, mademoiselle, je suis un roi, mais pas un roi constitutionnel, je suis un czar, j’ai acheté tous mes su-jets, et personne ne sort de mon royaume, qui se trouve à cent lieues de toute habitation, il est bordé de Sauvages du côté de l’intérieur, et séparé de la côte par un désert grand comme votre France…

Où l’argent tout puissant (et Bianchon porte-voix de Balzac) :

D’où vient ce mal profond ? demanda la baronne.

— Du manque de religion, répondit le médecin, et de l’envahissement de la finance, qui n’est autre chose que l’égoïsme solidifié. L’argent autrefois n’était pas tout, on admettait des supériorités qui le primaient. Il y avait la noblesse, le talent, les services rendus à l’État ; mais aujourd’hui la loi fait de l’argent un étalon général, elle l’a pris pour base de la capacité politique ! Certains magistrats ne sont pas éligibles, Jean-Jacques Rousseau ne serait pas éligible ! Les héritages perpétuellement divisés obligent chacun à penser à soi dès l’âge de vingt ans. Eh bien ! entre la nécessité de faire fortune et la dépravation des combinaisons, il n’y a pas d’obstacle, car le sentiment religieux manque en France, malgré les louables efforts de ceux qui tentent une restauration catholique. Voila ce que se disent tous ceux qui contemplent, comme moi, la société dans ses entrailles.

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