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d’écrire

ce n’est pas en pensant qu’il me trouvera

Où irais-je, si je pouvais aller, que serais-je, si je pouvais àªtre, que dirais-je, si j’avais une voix, qui parle ainsi, se disant moi ? Répondez simplement, que quelqu ?un réponde simplement. C ?est le màªme inconnu que toujours, le seul pour qui j’existe, au creux de mon inexistence, de la sienne, de la nà´tre, voilà une simple réponse. Ce n’est pas en pensant qu’il me trouvera, mais que peut-il faire, vivant et perplexe, oui, vivant, quoi qu’il dise. M’oublier, m’ignorer, oui, ce serait le plus sage, il s’y connaît. Pourquoi cette soudaine amabilité après tant d’abandon, c’est facile à comprendre, c’est ce qu ?il se dit, mais il ne comprend pas. Je ne suis pas dans sa tàªte, nulle part dans son vieux corps, et pourtant je suis là , pour lui je suis là , avec lui, d’où tant de confusion. Cela devrait lui suffire, m’avoir retrouvé absent, mais non, il me veut là , avec une forme et un monde, comme lui, malgré lui, moi qui suis tout, comme lui qui n’est rien. Et quand il me sent sans existence, c’est de la sienne qu’il me veut privé, et inversement, fou, fou, il est fou. En vérité il me cherche pur me tuer, pour que je sois mort comme lui, mort comme les vivants. Tout cela il le sait, mais cela ne sert à rien, de le savoir, moi je ne le sais pas, moi je ne sais rien. Il se défend de raisonner, mais il ne fait que raisonner, faux, comme si cela pouvait aider. Il croit balbutier, il croit en balbutiant saisir mon silence, se taire de mon silence, il voudrait que ce soit moi qui le fasse balbutier, bine sà »r qu’il balbutie. Il raconte son histoire toutes les cinq minutes, en disant que ce n’est pas la sienne, avouez que c’est malin. Il voudrait que ce soit moi qui l’empàªche d’avoir une histoire, bien sà »r qu’il n’a pas d’histoire, est-ce une raison pur vouloir m’en coller une ? Voilà comme il raisonne, à cà´té, d’accord, mais à cà´té de quoi, c’est à§a qu’il faut voir. Il me fait parler en disant que ce n’est pas moi, avouez que c’est fort, il me fait dire que ce n’est pas moi, moi qui ne dis rien. Tout cela est vraiment grossier. Encore s’il me décernait la troisième personne, comme à ses autres chimères, mais non, il ne veut que moi, pour son moi. Quand il m’avait, quand il m’était, il s’est empressé de me là¢cher, je n’existais pas, il n’aimait pas à§a, ce n’était pas une vie, bien sà »r que je n’existais pas, lui non plus, bien sà »r que ce n’était pas une vie, il l’a maintenant sa vie, qu’il la perde, s’il veut la paix, et encore. Sa vie, parlons-en, il n’aime pas à§a, il a compris, de sorte que ce n’est pas la sienne, ce n’est pas lui, vous pensez, lui faire à§a à lui, c’est bon pour Molloy, pour Malone, voilà les mortels, les heureux mortels, mais lui, vous n’y pensez pas, passer par là , lui qui n’a jamais bougé, lui qui ets moi, toutes choses considérées, et quelles choses, et comment considérées, il n’avait qu’à ne pas y aller. C’est ainsi qu’il parle, ce soir, qu’il me fait parler, qu’il se parle, que je parle, il n’y a que moi, avec mes chimères, ce soir, ici, sur terre, et une voix qui ne fait pas de bruit, parce qu’elle ne va vers personne, et une tàªte remplie de guerres lasses et de morts aussità´t debout, et un corps, j’allais l’oublier.

Samuel Beckett, Textes pour rien

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