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je me souviens

je me souviens | compilation 1

je me souviens avoir cherché le I remember de Joe Brainard chez Barnes et Noble à New-York mais ils ne l’avaient plus | avoir trouvé la traduction du livre de Brainard chez un bouquiniste de Nantes — nous avions parlé d’Henriette Walter et de Bourdieu | je me souviens de ce gars qui passait parfois quand j’étais pompiste de nuit, un insomniaque qui pour passer le temps faisait des allers retours entre Cholet et Angers par la nationale | du premier roman que j’ai emprunté à la bibliothèque municipale, Michel Strogoff de Jules Verne, à cause du prénom, et puis parce que c’était la première étagère à droite en entrant, et que je n’avais pas osé aller plus loin | de Stéphane, du soir où il est venu me dire adieu — il avait amené une bouteille de rhum mélangé à de
l’orange —il disait partir pour l’Irlande et comptait y mourir à coups d’alcool — nous n’avions pas 20 ans | de ce patron de bar à Saint-Gilles Croix-de-Vie, étonné que je sache que sous dans sa bouteille de gnôle dissimulée derrière un papier journal se trouvait une vipère | des photos que je prenais dans le jardin de mes parents, en utilisant les fils électriques pour composer l’image —astuce que j’utilise encore pour mes vidéos | d’un samedi matin où ma mère et moi avons traversé, transis de peur, l’allée bordée de peupliers qui menait à l’école maternelle parce qu’un taureau s’était échappé du marché aux bestiaux — près vérification, ce n’est qu’à partir de 78 qu’il s’est tenu le lundi | de ma mère, arlant de l’orage, disant elle et non il | de ma tante qui aimait dire : c’est tout un art | des mots brodequins et godillots | de mon père cirant les chaussures tous les dimanche matin | je me souviens que parfois je me relevais lorsque j’entendais le générique de La piste aux étoiles | j’ignore le nombre de numéros
de cirque qu’on m’autorisait à regarder — mais demeure le souvenir de l’injustice | je me souviens des disquaires qui bradaient les vinyles à l’arrivée des cd, et pour beaucoup avant de fermer définitivement | du disquaire Vivien qui vendait de l’électro-ménager et où se trouvaient encore des cabines pour écouter les disques | des cabines vitrées aux montants de bois marron | du mercredi matin où l’antenne locale de Radio France avait diffusé une émission consacrée au blues — étape décisive d’une découverte | des Davy Crockett reçus en cadeau, et que je lisais d’une traite dans mon lit le matin de Noël | de la fierté d’acheter des disques où il était écrit import américain et que ces disques-là étaient protégés par une enveloppe non pas en papier blanc mais
en kraft | je me souviens de la première fête de la musique — d’avoir joué de la guitare avec François, un copain du lycée, sur un banc du centre-ville : personne pour nous écouter, mais la victoire dérisoire de jouer dans l’espace public sans que les flics puissent y trouver à redire | de Chevalier, un grand type aux cheveux mi-longs qui parcourait la ville tout au long de la journée — j’avais peur chaque fois que je l’apercevais dans son pardessus gris — les copains du collège disaient que parfois, quand ils passaient devant chez lui, il ouvrait sa fenêtre et se mettait à pisser —ce n’était sans doute pas le seul fou à errer dans la ville, mais celui-ci avait connu mon père à l’école, et venait toujours le saluer, et moi par la même occasion, comme cette fois dans le cimetière au moment de la Toussaint : il s’est approché dans l’allée, a serré la main de mon père, puis s’est penché vers moi, a posé une main sur une de mes joues pendant qu’il embrassait l’autre —il était venu sur la tombe de sa mère, c’est elle qui
s’en occupait avant | je me souviens d’un gars qu’on croisait dans les concerts, et qu’on avait surnommé « grandes dents » — chaque fois, en fin de soirée, il montait sur scène, fin saoul, et braillait oh mammy blue | de ce gars qui venait souvent au bar de l’hôtel de ville près du lycée, barbu, manteau noir, écharpe rouge et béret noir— on savait qu’il chantait dans des cabarets à Paris : l’aura que ça lui donnait | de mes premiers cours d’allemand, où le père de famille lisait le journal dans un fauteuil du salon et fumait la pipe pendant que sa femme était dans la cuisine — et de leurs deux enfants, Rolf et Gisela : eux aimaient jouer au tennis de table — ça fait peu pour une conversation | de ce gars qui avait débarqué au milieu de la nuit à la station, habillé en costume de
cérémonie— il venait de défoncer une cabine téléphonique avec sa voiture, volontairement — il sortait d’un mariage | du bruit de la cabine téléphonique
s’effondrant la nuit sous le choc de ma marche arrière — et comment on était rentrés très vite à la résidence universitaire | de ce gars qui travaillait sur le chantier du supermarché en train de s’installer près de la station-service — il était spécialisé dans le montage des poutrelles métalliques — il vivait dans une caravane — une nuit, il était venu boire des bières avec une fille, qui savait qu’il ne resterait pas | des gestes précis de mon père quand il tuait des poules ou des lapins | de Luc « la terreur » : il me cognait dans la cour de la maternelle —lui et sa sœur venait du Liban —ils avaient été adoptés par un couple de paysans — le père était bègue et alcoolique | je me souviens que Luc était devenu chauffeur routier et qu’il s’est tué en voiture | je me souviens de
l’émotion ressentie quand sa sœur venait faire le plein de la voiture qui servait à la livraison du lait : sa beauté, et l’odeur sure à vomir dans la chaleur de l’été | je me souviens d’anonymes — ce sont eux aussi qui ont fait ce que je suis — ou crois être | de l’inscription au-dessus du confessionnal : Heureux les simples d’esprit, l’énigme de la phrase | de ce gars à la fac qui ponctuait chacune de ses phrases par tu vois ? — comment c’était pénible | de ce gros oiseau blanc recroquevillé dans le fossé de la nationale —l’imagination en branle du gamin, se figurant un oiseau exotique, une possible découverte —un événement qui se serait glissé au creux de l’habitude et des répétitions du quotidien : seulement un dindon sans doute tombé d’un camion — on l’a mangé à Noël | des siestes à la maternelle, de grands rideaux bleus et l’institutrice qui travaillait assise derrière une table — spectateur dans la pénombre | des voitures accidentées qu’on ramenait à la station-service, des éclats de verre, parfois des traces de sang, un jouet oublié — un apprentissage de la mort | de la première chanson que j’aie écrite pour le groupe de François au lycée — il y était question de New York | de ce compte-rendu d’un voyage scolaire d’une semaine écrit avant le séjour — le scandale qu’avait causé chez les profs de dévoiler la supercherie pourtant bien innocente. | avoir créé avec Paul, un copain, un journal qu’on faisait circuler dans l’enceinte du bahut — les photocopies étaient fournies par un prof d’un lycée public qu’avait rencontré Paul | avoir failli être exclu du lycée pour avoir donné pour titre à un article sur la télé : cathodique pratiquant |de l’anecdote que racontait mon père, un de ses rares récits, d’un renard allongé dans la cuisine de la ferme, et ouvrant un œil de temps en temps | de son départ à l’armée, direction Baden-Baden — la première fois qu’il prenait le train, le gars sympa qu’il a rencontré et l’a guidé dans le métro entre Montparnasse et gare du Nord, et comment à Strasbourg ils ont profité d’un arrêt pour aller visiter, malgré l’interdiction de quitter la gare, la cathédrale | je me souviens
n’avoir compris que très tard ce que ça révélait du bonhomme

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