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série rencontres

série rencontres : faire le point

La série rencontres a démarré il y a presque un an. Dans la vidéo intitulée comme une note d’intention, je rappelais que le matériau de départ de l’écriture est constitué de commentaires laissés sur YouTube, sous des vidéos de concert ou d’interview, de groupes et d’artistes de rock. Quelques incursions ont depuis été faites du côté du blues.
Ces commentaires, écrits en langue anglaise, sont sélectionnés puis traduits par mes soins. Ils ressemblent à des micro récits réalistes, avec ancrage dans l’espace et le temps. Ce souci de réalisme constitue une revendication de vérité, la volonté d’attester la réalité de la rencontre dans la vie ordinaire de celui qui appartient à la scène et à la légende. Chaque fois aussi, revendication du caractère unique de l’expérience rapportée. Le commentaire ici se fait écriture mémorielle : ce sont des souvenirs partagés parce que considérés comme exceptionnels, et souvent reçus comme tels par les autres commentateurs, exceptionnels parce que relevant d’un moment auquel on a du mal à croire, un de ces moments où on a l’impression d’être dans un rêve. Et pourtant, beaucoup de ces récits sont identiques dans leur schéma. En fait, ce qui se questionne ici, c’est de savoir ce qui relève de l’individuel. Toutes ces expériences personnelles se répètent, se font écho. On a dans ces commentaires une addition d’expériences à la fois uniques et semblables, qui deviennent comme des topos, des lieux communs. Une constante : l’homme ordinaire face à un extraordinaire, en tout cas pensé, rêvé comme extraordinaire. Une constante, mais deux approches différentes : soit la révélation d’une humanité partagée, le gars n’a rien d’une star, c’est un homme du commun au destin hors du commun, soit l’apparition d’une sorte de rapport au sacré : on est proche du roi ou du prophète thaumaturge, ce qui se traduit par le fait de l’importance de toucher, ou d’être touché par. Rapport au sacré aussi dans la surprise qu’il y a, de pouvoir approcher le musicien, comme s’il existait un pouvoir de celui qui monte sur scène, comme s’il appartenait à une sorte d’au-delà inatteignable.
Ces rencontres sont souvent envisagées comme exceptionnelles quant à leur place ou l’impact qu’elles ont pu avoir dans la vie du commentateur, comme si la rencontre pouvait sauver une vie de sa médiocrité. En creux de ces scènes de rencontres, se trouve l’arrière-plan de vies ordinaires et les fantasmes qui sont ainsi révélés.
Écrire cette série, c’est questionner l’individualité de ces témoignages, mais aussi se demander quelle dimension individuelle, pour ces artistes pensés comme uniques par le public, et dupliqués à l’infini par l’industrie musicale. Aussi, une seule dénomination pour chacun des artistes rencontrés : le gars. Quant à ce qui relève ici de l’individuel dans l’écriture, il s’agit d’un travail de compilation. Dans l’ouvrage de Kenneth Goldsmith, Uncreative writing, traduit par François Bon, j’ai trouvé cette citation de Robert Fiterman : J’ai accès aujourd’hui à un nombre illimité d’expressions et d’énonciations personnelles qui viennent du cœur et des tripes. Pourquoi m’en tenir à mes tripes quand je peux entendre des milliers de tripes ?
Au fur et à mesure du travail, le spectre s’est élargi au-delà des seules scènes de rencontres. Les commentaires sous ces vidéos témoignent aussi de l’intime, que ce soit vie amoureuse ou mort de proches. Ils se font adresse à des absents, sorte de bouteilles lancées dans l’océan du web, d’autant plus poignants qu’on peut les supposer les seuls écrits ou presque de leurs auteurs. S’y développe une sorte de tragique rétrospectif, où celui qui écrit verbalise ses échecs et ses impuissances.
En plus des rencontres et des confessions intimes, ces commentaires évoquent aussi la naissance des goût musicaux et la réflexion sur ceux-ci, les racines d’une vocation de musicien, les excès du sex and drugs and rock’n’roll, se font adresses à l’artiste, réflexions politiques, discours élégiaque sur le temps qui passe, ou évocation de souvenirs à partir d’un morceau madeleine. Autant de chapitres possibles.

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